Ce mystère qui est l’attrait de tout

Un texte de Maurice Zundel (1897 – 1975).

« Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. » (Jean 4, 24 — dialogue avec la Samaritaine). Cette parole fonde pour jamais la religion de l’Esprit : le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. Toute la grandeur de l’homme tient dans cet appel. Il est esprit puisqu’il est capable d’adorer en esprit celui qui n’est qu’Esprit. Il est Esprit, c’est-à-dire qu’il peut s’affranchir de toute limite temporelle et spatiale. Non pas toutefois en méprisant la durée mobile et l’étendue divisible où son être physique est engagé, mais en faisant, du déploiement quantitatif et temporel, l’expression, le symbole et comme le sacrement de l’Esprit.

Tout le mystère de l’Art est là : extase de la matière dans l’ivresse de l’au-delà qui aimante son flux, en laissant sur ses ondulations, planer l’esprit.

Un tableau n’est pas un paquet de couleurs, mais une vision intérieure, un regard illuminé. Et nous ne donnons pas la main à nos amis pour prendre leur température, mais pour leur communiquer, autant que nous en sommes capables, le mystère de notre être en échange du mystère du leur. Ce n’est pas leur cœur de chair que nous voulons atteindre — ce ne serait qu’un muscle sanglant entre nos mains — mais ce cœur spirituel qui est le foyer immatériel de l’amour.

Il en est toujours ainsi, L’homme ne se contente pas d’empoigner la matière avec ses mains ; il veut aussi la saisir d’une étreinte sentimentale avec son cœur. La matière l’affole et le possède, si elle ne l’épure et le sanctifie. La vie n’est si difficile et si dangereuse — et si belle aussi et si sacrée — qu’à cause de ce mystère qui est l’attrait de tout. « L’Homme ne vit pas seulement de pain. » (Mt 4, 4 ; Lc 4, 4 — Tentation de Jésus au désert).

Le pain est nécessaire pour soutenir l’organisme, pour tendre les cordes de la lyre — mais la vie commence avec le chant.

Maurice Zundel


Article paru dans le n° 75 du Bulletin catholique international de novembre 1932. Reproduit dans le courrier de Genève du 7 novembre 1932.